17 hours ago
Mes excuses aux violoneux québécois
Au retour d'un voyage dans les Maritimes, notre chroniqueur se demandait pourquoi il ne semblait pas y avoir plus de « veillées de danse » au Québec…
Sur scène, « Uncle » Tom McSwiggan, 90 ans, raconte des blagues entre deux coups d'accordéon.
À ses côtés, Andy Doucette joue du violon avec une telle vigueur qu'on pourrait considérer sa performance comme du sport. Michael Pendergast et son fils Shane l'accompagnent respectivement au clavier et à la guitare. Veronica Murray débarque ponctuellement pour marteler la scène de ses souliers à claquettes.
PHOTO PHILIPPE MERCURE, LA PRESSE
Andy Doucette, Shane Pendergast, « Uncle » Tom McSwiggan et Michael Pendergast lors d'un ceilidh à Malpeque, à l'Île-du-Prince-Édouard
Je vous raconte ici l'un des beaux souvenirs ramenés de mes vacances à l'Île-du-Prince-Édouard : une soirée dans un « ceilidh » (prononcez ké-li). Concert de musique traditionnelle écossaise et irlandaise, spectacle d'humour dans lequel on raconte des blagues et des légendes, occasion de socialiser : un ceilidh, c'est un peu tout cela à la fois. Ces soirées conçues pour rappeler les partys de cuisine se perpétuent de génération en génération.
À la porte du centre communautaire de la municipalité de Malpeque où nous étions, on avait affiché une note rédigée au crayon-feutre. « Désolé, complet ».
L'assistance était formée autant d'enfants qui dansaient et sautaient que de vieillards tapant des mains, sans compter les ados venus passer du bon temps. Et à la pause, il y avait distribution de fraises et de crème glacée !
Bref, un sacré party, à la fois endiablé et bon enfant.
Je suis revenu des Maritimes en me demandant pourquoi on n'avait pas de telles soirées au Québec, pourtant une terre de fêtards, de violoneux et de joueurs de cuillère.
Dans la voiture, au retour, ma famille a dû endurer mes envolées sur notre supposée perte de patrimoine.
J'ai fini par me calmer et appeler Gilles Pitre, chargé de projet au Conseil québécois du patrimoine vivant. Il m'a poliment fait comprendre que j'étais assez magistralement dans le champ.
« Pour avoir côtoyé plusieurs musiciens de l'Île-du-Prince-Édouard, on sait que c'est très dynamique là-bas. Mais la perception que c'est moins vivant ici est erronée, selon moi », m'a-t-il lancé.
À ses heures, M. Pitre est lui-même un « calleur de danse » – vous savez, ces animateurs qui prodiguent des instructions aux danseurs, du genre « changez de côté, vous vous êtes trompés ».
Les « veillées de danse » dans lesquelles il officie sont beaucoup moins anecdotiques que je l'imaginais.
« Pendant la haute saison, d'octobre à avril, on répertorie de quatre à sept veillées de danse par semaine au Québec », m'apprend-il.
C'est partout : Saint-Casimir, Victoriaville, Saint-Jérôme, Joliette, Gatineau, Ripon, la Gaspésie – c'est très fort, en Gaspésie.
Gilles Pitre, chargé de projet au Conseil québécois du patrimoine vivant
Un phénomène de régions ? Pas uniquement. L'organisme Espace TRAD organise par exemple les Veillées du Plateau, en plein cœur de Montréal. Pour les intéressés, le Réseau des veillées de danse du Québec tient un calendrier des évènements partout dans la province1.
PHOTO FOURNIE PAR LE CONSEIL QUÉBÉCOIS DU PATRIMOINE VIVANT
Une veillée de danse à Lévis
« C'est en pleine effervescence », jure M. Pitre, qui dit assister à un regain après une « baisse de régime » dans les années 1980 et 1990.
Lors de ces soirées, les participants exécutent des danses traditionnelles comme des sets carrés, des quadrilles et des cotillons, au son d'un groupe de trois à cinq musiciens. « Il y a toujours un intermède de gigue – une ronde de gigue où les gens vont montrer leur savoir-faire », explique-t-il.
Autre phénomène très dynamique : celui des festivals « trad », pour musique traditionnelle. Le Conseil québécois du patrimoine vivant en recense pas moins de 22 dans la province, de Joliette à Trois-Pistoles en passant par Montmagny.
PHOTO FOURNIE PAR MYLÈNE BORDELEAU
Le festival trad « Mémoires et racines »
Cette scène est alimentée par des musiciens qui, malgré la crise du disque, enregistrent une vingtaine d'albums de musique traditionnelle chaque année au Québec.
Gilles Pitre me rappelle que l'ADISQ remet chaque année un prix pour le meilleur album de musique traditionnelle (décerné l'an dernier à Domino !, de La Bottine Souriante).
Un aspect m'intriguait encore. Les musiciens que j'ai entendus à l'Île-du-Prince-Édouard se réclament de leurs racines irlandaises et écossaises, allant jusqu'à jouer des classiques du folklore irlandais comme Molly Malone. Qu'en est-il des musiciens traditionnels québécois ? Leur musique tire-t-elle ses origines de la France ?
Gilles Pitre s'anime au bout du fil. « Voilà une question très intéressante ! », s'exclame-t-il.
« La musique instrumentale traditionnelle québécoise, avec son accordéon, son violon, son piano et sa guitare, a aussi des origines irlandaises et écossaises, m'apprend-il. Ces communautés sont présentes au Québec depuis longtemps et ont eu une forte influence. »
PHOTO FOURNIE PAR LE CONSEIL QUÉBÉCOIS DU PATRIMOINE VIVANT
Une danse traditionnelle en Outaouais
Les Québécois d'antan se sont toutefois approprié ces musiques et les ont fait évoluer. « On ne les joue plus comme en Écosse ou en Irlande », dit Gilles Pitre.
Les musiciens québécois qui vont faire des festivals là-bas reconnaissent les airs, mais ne les jouent pas de la même façon.
Gilles Pitre, chargé de projet au Conseil québécois du patrimoine vivant
Évidemment, les paroles francophones, elles, proviennent de la France.
« Si on parle de chanson, l'influence est franchement et totalement française. Ça provient de la Bretagne, du Poitou, de la Picardie, de la Normandie », explique M. Pitre. Tout cela s'est métissé pour donner la musique traditionnelle québécoise, unique au monde.
« La Bolduc est un bon exemple, souligne Gilles Pitre. On sent les influences celtiques dans la musique, mais les mots sont en français. »
En bref, ça swingue pas mal plus que je ne le croyais côté trad au Québec. Une preuve qu'on profite souvent des voyages pour s'ouvrir aux autres cultures… en oubliant de regarder ce qui se fait chez nous.
À ma décharge, Gilles Pitre admet que la scène québécoise est « méconnue » et soupçonne l'Île-du-Prince-Édouard de mousser davantage ses « ceilidhs » auprès des touristes qu'on le fait chez nous pour les veillées de danse. Ça m'apparaît clair… et bien dommage. On aurait tout intérêt à mieux connaître ce pan de notre culture (moi le premier) et à le faire découvrir aux visiteurs.
Mes excuses à tous les violoneux et calleurs de danse du Québec, donc. Et si je peux me permettre une suggestion : les fraises et la crème glacée en milieu de soirée, c'est vraiment pas mal.
Appel à tous
Mes recherches pour cette chronique m'ont fait découvrir jusqu'à une fête de Mi-Carême queer organisée à Rimouski – un bel exemple de tradition servie à la sauce moderne ! Vous connaissez encore mieux ? Vous fréquentez des soirées traditionnelles ? Où se déroulent les plus endiablées ? Quels sont vos meilleurs souvenirs ?
Écrivez-nous !
1. Consultez le Réseau des veillées de danse du Québec